Bientôt un congé pour règles douloureuses ?

Plus de la moitié des femmes françaises auraient des douleurs pendant leurs règles (dysménorrhées), et 5 à 15 % d’entre elles estimeraient que leurs menstruations affectent profondément leur quotidien. Maux de ventre, de dos, migraines, nausées viendraient ainsi perturber leurs journées, notamment sur leur lieu de travail. La mise en place d’un congé menstruel pour règles douloureuses serait-elle alors une mesure pertinente pour ces femmes parfois contraintes de poser des RTT ?

Le congé pour règles douloureuses existe déjà

Grâce au congé menstruel, une femme aurait ainsi le droit de s’absenter de son lieu de travail pour causes de règles douloureuses, tout en conservant sa rémunération.

Inexistant en France malgré des débats (ré)ouverts épisodiquement, ce congé existe déjà dans certains pays, et tout particulièrement en Asie.

Le pays précurseur en la matière fut en effet le Japon qui instaura la seirikyuuka (ou congé physiologique) en 1947. Cette loi en faveur d’un congé pour règles douloureuses est le fruit de longues années de négociations. Le débat fut en effet lancé dès les années 20, au moment des mouvements ouvriers. Les Japonaises devaient alors faire face à des conditions de travail si difficiles que le nombre de fausses couches s’était amplifié. Quelques entreprises mirent en place ce congé dès les années 30 mais il fallut attendre encore plus de 10 ans pour qu’il entre dans la loi.

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Aujourd’hui, les Japonaises ont donc la possibilité de prendre 2 jours par mois pour cause de dysménorrhées entraînant des « difficultés à travailler ». Toutefois, peu de femmes profitent de ce droit.

« En 1965, 26,2 % des Japonaises prennent effectivement leur congé menstruel, et il est estimé que 0,09 % d’entre elles le font en 2016. »

Source : Wikipédia

En 1948, c’est au tour de l’Indonésie. Les femmes peuvent ainsi bénéficier de 2 jours de congés mensuels, mais uniquement après examen médical et accord de l’employeur qui, s’il l’accepte, est en droit de ne pas payer sa salariée.

Il faudra ensuite attendre 2001 pour voir la Corée du Sud adopter un congé menstruel. Depuis l’adoption de la loi, les femmes ont le droit à un jour par mois non payé.

En 2013, c’est Taïwan qui lui emboîte le pas, instaurant ainsi le droit à 3 jours de congés par an. Au-delà, leur salaire sera moindre.

Dernier pays d’Asie ayant mis en place ce congé : les Philippines. S’il existe,peu de femmes en profitent car elles verraient dans ce cas leur salaire réduit de moitié.

Du côté de l’Afrique, c’est en Zambie que le congé menstruel a vu le jour en 2015. Là bas, les femmes disposent d’un jour par mois pour cause de dysménorrhées, et ce sans certificat médical.

Ce droit n’est pas inscrit dans la loi en Égypte. Ceci n’a toutefois pas empêché Mohamed Naiem, CEO de la société Shark and Shrimp de proposer depuis avril 2019 un jour de congé payé à ses salariées dans le cas où elles souffriraient de dysménorrhées. D’autres entreprises privées avaient déjà intégré ce droit dans leur convention collective, comme Nike ou l’entreprise britannique Coexist.

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Et les États européens dans tout cela ? Eh bien, seule l’Italie a proposé la création d’un congé menstruel en 2017. Les conditions pour bénéficier de ces 3 journées mensuelles étaient toutefois relativement strictes : les femmes concernées devaient ainsi fournir à leur employeur un certificat médical à renouveler chaque année. Mais après de nombreux débats et désaccords, cette loi n’a finalement pas été instaurée.

Le débat autour du congé menstruel en France

Il n’existe pas de congé menstruel en France et les avis divergent sur la pertinence d’une telle mesure.

Alors que certains y voient une véritable avancée dans la reconnaissance des douleurs féminines, d’autres estiment au contraire que ce congé ne constituerait pas un progrès.

Parmi les arguments de ses détracteurs, trois d’entre eux reviennent régulièrement.

Le congé menstruel pourrait être discriminant

En donnant le droit aux femmes de s’absenter quelques jours par mois, cette loi ne ferait que renforcer l’idée qu’elles sont moins productives et moins efficaces que les hommes.

Une telle mesure pourrait également dissuader un employeur de recruter des salariées, par peur de les voir régulièrement absentes. In fine, tout cela ne ferait que renforcer les inégalités à l’embauche.

Les femmes seraient contraintes de dévoiler leur vie privée

Les femmes souhaitant bénéficier de ce congé n’auraient pas d’autre choix que d’informer leur employeur ou tout autre service qu’elles ont leurs règles. Comment le vivraient-elles ? Combien oseraient le faire ? Dans quelle mesure est-ce acceptable que l’entreprise qui les emploie puisse avoir connaissance d’une part aussi intime de leur vie ? Rappelons qu’au contraire le volet employeur des arrêts de travail ne mentionne pas la cause de l’absence du salarié.

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Les exemples étrangers prouvent effectivement que peu de femmes osent faire cette demande, même lorsqu’elles sont rémunérées durant leur absence.

« En imposant le congé menstruel, une scission dans le monde des femmes se fera. D’un côté, les « fragiles de l’utérus » qui chaque mois s’absenteront deux jours, de l’autre « les rebelles à leur sexe » qui ignoreront volontairement ce congé. Si celui-ci est payé il faudra déclarer sa période d’indisposition, signifier aux DRH le moment de votre cycle où vous êtes la plus fragile (…). L’iniquité sera ainsi poussée à son paroxysme. »

Marianne Ferrand et Mathilde Berger-Perrin, de l’association Les Affranchies (L’Express – 4/09/2017)

Il existe des solutions pour soulager les règles

Il s’agit ici d’un argument régulièrement invoqué par le corps médical. Au lieu de rester souffrir chez elles, ces femmes devraient être prises en charge plus efficacement et bénéficier d’un traitement adapté. Souffrir n’est pas une fatalité car des traitements existent.

« Proposer aux femmes qui souffrent de rester chez elles, c’est envoyer un mauvais signal et laisser penser qu’il est naturel de souffrir pendant ses règles. Il n’y a aucune raison d’arriver au congé menstruel: des solutions existent ! »

Brigitte Letombe, gynécologue (Le Parisien – 14 avril 2017)

À ce titre, le télétravail apparaît comme une alternative peut-être plus efficace, notamment depuis que Muriel Pénicaud, ministre du Travail a assoupli ses conditions d’application dans la loi du 5 septembre 2018. En travaillant de chez elle, une femme pourrait ainsi remplir ses tâches comme les hommes, mais dans un cadre plus adapté à sa situation du moment.

Sources
« Un congé menstruel, ça existe déjà en Asie » – Jadine Labbé Pacheco (L’Obs avec Rue 89 – 20 août 2017)
Un « congé menstruel » pour les femmes aux règles douloureuses en Égypte – Elle Active ! (18 avril 2019)

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